Paolo Bacigalupi, un auteur à découvrir [Festival America]

Salut à tous !

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais ce week-end a lieu le festival America à Vincennes. Si vous avez déclaré forfait pour aujourd’hui, tout n’est pas perdu, vous pourrez en profiter encore demain.

Bandeau de l’édition 2014 du Festival

Le festival America, c’est un festival qui se déroule chaque année dans la ville de Vincennes. Il est l’occasion d’un salon du livre, de plusieurs évènements de type conférences, ateliers d’écriture et même joutes de traduction, et surtout, de rencontres avec des auteurs et des libraires. Comme son nom l’indique, le festival America a pour objet la littérature d’Amérique du Nord (USA mais aussi Canada y sont donc très représentés). C’est l’occasion pour nous, petits français très éloignés de cette culture que nous connaissons malgré tout très bien, de rencontrer des auteurs américains et / ou canadiens qui font peu d’apparitions en France. Il y a également des auteurs français qui figurent sur la liste des auteurs présents : Fabrice Colin anime une conférence, Danny Laferrière (membre de l’Académie Française mais haïtien et canadien),…

Le festival organise notamment des petits déjeuners avec des auteurs afin de créer des moments de rencontres privilégiés et informels entre les auteurs et un nombre limité de lecteurs (n’importe qui peut s’inscire, mais les places sont limitées à 5 ou 6 je pense). Sur la liste des petits-déjeuners organisés figurait un auteur que j’ai découvert il y a peu, mais dont le livre m’avait beaucoup plu : Paolo Bacigalupi.

Paolo Bacigalupi

Il est édité au Diable Vauvert en France, et c’est un auteur de science-fiction qui a reçu de nombreux prix pour son roman La fille automate (Prix Hugo, prix Locus en 2010, Grand prix de l’imaginaire en 2013) et un autre (prix Locus 2011) pour Ferrailleurs des mers, le roman dont je vais vous parler ici.

Nous étions sept autour de la table dans le café : Paolo Bacigalupi, sa traductrice Sara Doke et 5 lecteurs. L’échange devait durer une heure, de dix heures à onze heures mais s’est prolongé jusqu’à un peu plus de onze heures et demie en raison des nombreuses questions qui nous restaient à poser. Il nous a beaucoup parlé des problématiques autour desquelles s’articulent ses romans, de ses lectures actuelles et de ses lectures de jeune lecteur, des recherches linguistiques qu’il a effectuées pour son dernier roman The Water Knife (à paraître), de l’importance qu’il accorde aux métiers de la médiation (bibliothécaires, libraires et professeurs qui ont pour lui un rôle social essentiel dans la construction des individus de par la diversité des idées dont ils sont les ambassadeurs). Il a parlé de son envie de déménager en Oregon (justement parce que les habitants de sa ville du Colorado ont refusé de contribuer financièrement à la vie de la bibliothèque locale), du mépris qui se manifeste chez certains auteurs quand il leur annonce qu’il écrit des romans de SF et / ou des romans pour la jeunesse alors qu’il attache une grande importance à transmettre à ses lecteurs le goût de lire. Suite à une question sur l’univers de La fille automate, il s’est exprimé aussi sur le rôle essentiel de la science-fiction (en tout cas celle qu’il cherche à écrire) dans la compréhension des problématiques contemporaines (celle qui lui tient à coeur dans La fille automate et dans Ferrailleurs des Mers, c’est celle des dangers vers lesquels notre société contemporaine nous entraîne en courant après le profit à tout prix). Il a également dit une chose qui m’a marquée sur ses personnages. Il a souligné le fait que, dans la littérature pour les jeunes telle qu’elle se développe aujourd’hui, on trouve énormément de héros « élus », « choisis » qui sont spéciaux parce que tel est leur destin. Il essaie, pour sa part, d’aller à l’encontre de cette idée en faisant de ses personnages non « les meilleurs », mais « ceux qui apprennent le mieux » (en anglais « not the best, but the one who learns best », eh oui, ça sonne mieux en VO), des personnages malmenés par la vie mais intelligents qui savent saisir toutes les occasions d’apprendre, et qui ainsi changent le cours de leur vie par eux-mêmes, et non par la façon dont ils sont considérés par les autres. Il nous a interrogés sur nos références également, curieux de savoir quelles étaient les littératures qui nous avaient touchés, et très déçu d’apprendre que les romans de Pierre Bottero (dont nous lui avons parlé avec force enthousiasme) n’ont pas été traduits à ce jour en anglais (même si ça lui a mis du baume au coeur de savoir qu’il pouvait peut-être trouver ceux d’Erik L’Homme).

A partir de ce que nous nous sommes dits ce matin, je pense que vous pouvez déjà cerner un peu le personnage, et avoir une idée de son univers. Je pense qu’il y aurait aussi des tas de choses à dire sur La fille automate, mais je ne l’ai malheureusement pas lu, il va donc falloir vous contenter de Ferrailleurs des mers pour vous faire une idée de la raison pour laquelle son univers m’intéresse autant.

Couverture de Ferrailleurs des mers (éditions Au Diable Vauvert, 2013)

C’est une collègue qui m’a conseillé ce roman lors de notre comité de lecture de janvier en soulignant le fait que les bons romans d’aventures se font rare aujourd’hui (car l’aventure est un genre à part entière qui est relativement peu représenté dans la production littéraire pour jeunes adultes et grands ados d’aujourd’hui, on a tendance à lui préférer les fresques politiques d’Hunger Games, voire les mises en scène de la psychologie de l’ado qui devient adulte de Twilight, ou encore les tranches de vie autentiques et poignantes, parfois simplement drôles, de collections comme DoAdo au Rouergue ou eXprim’ chez Sarbacane).

Moi qui aimait tant Bobby Pendragon (D.J. MacHale, série en 10 tomes), Tom Cox (Franck Krebs, série en 8 tomes) et les romans du génial Kenneth Oppel, ce fut un plaisir de retrouver dans Ferrailleurs des mers le plaisir de l’aventure initiatique et engagée.

Ferrailleurs des mers raconte l’histoire d’un jeune homme nommé Nailer qui vit sur une côte américaine du futur. Dans ce monde où les réserves de pétrole se sont épuisées et où les éléments se déchaînent, les principales sources de richesse pour les travailleurs du milieu de Nailer sont le cuivre, le métal, la ferraille que des équipes d’ouvriers et ouvrières vont récupérer dans et sur les carcasses des bateaux échoués. Les perspectives d’avenir de Nailer et des membres de son équipe ne sont pas très réjouissantes. Tant qu’ils sont suffisamment petits et menus pour se glisser dans les conduites à la recherche des fils de cuivre, ils ont leur utilité dans l’équipe. Mais une fois adultes, seuls les plus costauds d’entre eux pourront recycler leurs compétences en démantelant la structure des navires. Piégés par son physique peu imposant et terrifié par un père alcoolique, Nailer rêve d’échapper à la vie de labeur qui l’attend. Et voilà qu’un jour, un voilier dernier cri s’échoue sur un coin du rivage. L’opportunité pour Nailer de devenir riche ! Ou peut-être pas…

En racontant les aventures de Nailer, Paolo Bacigalupi dresse un constat impitoyable des réalités du capitalisme. Il souligne les conséquences écologiques et humaines de notre société de profits, sans manichéisme. Son portrait de la « misère » telle qu’elle est vécue par Nailer n’est ni pathétique, ni apitoyé. Il sonne authentique, sans être alarmiste. En prenant le risque de justement ne pas céder au profit facile, Nailer espère échapper à sa condition sans renoncer à son humanité et ses principes, même si la tentation est grande de les oublier. C’est un personnage intelligent et imparfait qui s’accomplit au fil de son aventure, en tentant de gagner sa liberté.

Pourquoi avoir ce livre en bibliothèque ?

Paolo Bacigalupi construit des univers. Il a écrit un second livre dans l’univers de Ferrailleurs des mers (Les cités englouties, paru au Diable Vauvert en 2013) mais l’histoire de Nailer tient en ce tome unique. Pas de budget à prévoir à long terme, donc.

C’est un livre qu’on peut recommander facilement à des professeurs. Le sujet peut amener à des débats de fond dans une classe, il soulève des questions qui méritent d’être posées à la fois sur notre société contemporaine et ses perspectives d’avenir, sur les contrastes entre les conditions de vie des pays « en développement » et des pays « riches ». Il ouvre également des portes à des problématiques sur le roman d’intiation, sur le roman d’aventures et sur la science-fiction.

C’est, à mon sens, un livre qui se passe facilement. Il est suffisamment bien écrit pour être un bon support de lecture à voix haute, à condition de bien choisir ses passages et donc de savoir cibler ce qui va être important pour le lecteur potentiel : le personnage de Nailer ? Le contexte futuriste ? Le propos politique ?

Bref, c’est un texte qui peut s’adapter à ses différents lecteurs, qui peut plaire à tout âge et engager des débats très différents. En plus d’être un coup de coeur personnel, je considère que c’est vraiment un roman à avoir dans ses rayons si on cherche un bon one-shot, de qualité, à proposer à ses lecteurs.